Campomoro, son histoire
Quelques repères historiques*
Belvédère-Campomoro, un double nom qui en cache un troisième : Portigliolo.
Une longue histoire qui ramène aux temps… préhistoriques. Elle débute, pour ce qu’on en sait, plus de trois millénaires avant notre ère. A Capu di Locu, un plateau en balcon sur la marine de Campomoro, où les réalisations mégalithiques de ses occupants continuent de défier le temps. Ils étaient peut-être de la souche de ceux qui, deux mille ans plus tôt, avaient abordé la côte d’en face et investi les piedmonts de Basi et de Filitosa.
Une marine que la complémentarité des vents et des courants marins a continué de placer sur les principales routes maritimes du Levant au Ponant méditerranéens, tout au long des derniers âges préhistoriques puis durant les dominations grecque et romaine.
D’après un portulan datant de 1296, Campomoro, mentionné sous le nom de Ellexe, était au IIe siècle le Titianos du géographe grec Ptolémée.
Le génois Ellexe aura connu plusieurs variantes : Erexe, Elixe, Eliʃʃe, Erice et, finalement, Elice, nom aussi donné au lys maritime qui couvrait aux temps anciens les dunes du rivage campomorais. La dénomination actuelle s’est progressivement imposée à partir des années 1600.
Un acte de donation notarié de 1304 atteste de l’inclusion de la bande côtière de Portigliolo à Campomoro dans le domaine de Santa Julia, lequel s’étend au nord jusqu’ à la piève du Viggiani, territoire de Fozzano et de la seigneurie de la Rocca. Deux cent soixante ans après, on ne peut être surpris de localiser à Porto Elice deux frères, Guglielmo et Vincetello di Fozzani, fils d’Orsone de Fozzani, un proche de Renuccio, le dernier seigneur de la Rocca.
En 1568, Vincentello y achète une pièce de terre à un notable de Fozzano. Quelques années après, son neveu Gianpollo, que Gênes a nommé capitaine chargé de la protection des invasions barbaresques, y est devenu un important propriétaire terrien et y a construit (ou acquis) une maison.
C’est son petit-fils Polo, lui aussi capitaine pour la même charge, qui hérite de ses biens. La menace incessante de la piraterie maritime a amené à la construction en 1585 de la tour de défense à la pointe de la baie. Par une suite d’acquisitions, dont certaines auprès de ses cousins, Polo étend son domaine des Pozzi de Campomoro à Tavaria.
Ces terres particulièrement favorables à l’activité agropastorale contribuent à faire du Vallinco le grenier à blé des Bastiais. Une mise en valeur dont les acteurs sont originaires du Haut-Taravo. On compte sept à huit noyaux familiaux : majoritairement, des Ciamanacci (les futurs Simonpietri), des Sicondi dalli Ciamanacci, des Tulini Ciamanaacci (futurs Tolini), des Bonaccorsi et, plus tard, des Mondoloni. Pour ces propriétaires de troupeaux sans terre, qui transhumaient l’hiver vers les plaines littorales du Vallinco, face aux restrictions croissantes imposées, souvent violemment, au libre pacage ancestral, la seule issue locale est alors le contrat de métayage ou, plus rarement, de fermage avec les détenteurs du foncier.
Au décès du capitaine Polo en 1710, c’est son petit-fils Durazzo Fozzani qui hérite de ses biens de Campomoro. Il s’installe définitivement dans la maison de son bisaïeul Gianpollo. Il développe fortement ses exploitations, en particulier la production céréalière, et organise la vie du hameau dont la population s’accroît, toujours avec l’installation de familles du Haut-Taravo. Durazzo fait construire l’église dédiée à Sant Antoine de Padoue avec son cousin Prete Ignazio, desservant du hameau depuis 1716.
Le nom de son père, Giulio di Fozzani, autre fils du capitaine Polo, est associé au destin de Belvédère, un lieudit mentionné depuis au moins 1609, où il est propriétaire. Dans les années 1670, Giulio y vend des terres à un Lorenzo de Zicavo pour le prix de trois cents brebis. C’est la naissance du village qui, cent ans plus tard, compte une quinzaine de branches de Lorenzi et a son podestat et son curé. Les chefs de famille se définissent comme colons tertiaires, autrement dit comme métayers sur les terres environnantes, allant jusqu’à la marine de Portigliolo dont les rares habitations occupent la rive rocheuse au sud de la baie.
A mi-chemin, d’autres Zicavais ont fait souche, les Capponi, au village de Chiave aujourd’hui en ruines, où ils se sont affrontés à un Bernardino di Fozzani, toujours à propos du libre pacage.
Dès 1726, Durazzo est secondé par son fils Michele qui révèlera très tôt ses capacités de gestionnaire et de politique. Il porte le domaine familial à plus de deux mille hectares, sans compter les propriétés prises à ferme alentour. Ses qualités de meneur d’hommes font de lui l’homme fort du Sartenais. Les pieve de la province de la Rocca l’élisent général en 1735. Michele Durazzi Fozzano, comme on le nomme alors, se confronte aux chefs du Deçà-des Monts, dont Giacinto Paoli, dans la partie qui se joue entre Gênes et les Bourbons de France et de Naples, sous l’œil de l’Angleterre. Sans leurs manœuvres duplices, Michele aurait commandé le Régiment corse de Naples. C’est dans ce régiment qu’en 1743 Pascal Paoli sera admis comme cadet. Moins avisé quand il se place aux premières loges sous l’éphémère et rocambolesque royauté de Théodore, Michele se tient à distance puis marque son hostilité au généralat de Paoli. De 1770 à 1830, son fils Stefano Durazzi puis ses enfants assumeront les premiers rôles à Sartène.
Alors que depuis 1770 Belvédère est constituée en commune, Campomoro est encore un hameau de Fozzano. Mais en 1826 certains notables de Fozzano veulent interdire aux foyers campomorais de participer à l’attribution périodique des lots sur le « communaux » de la plaine de Tavaria. Ce qui enclenche une virulente querelle qui durera cinquante ans. Le hameau s’autonomise progressivement avec une population jeune du fait d’un solde naturel positif : sa croissance est l’une des plus élevées dans le Sartenais. Elle se répartit sur les deux îlots d’habitations de la marine et la quinzaine d’unités d’exploitation (paciali) du territoire campomorais. Plus que la production fromagère conséquente (brocciu frescu et passu, tome typée), c’est la céréaliculture qui domine avec plus d’un millier d’hectares emblavés, le quintuple du siècle précédent.
Le 20 avril 1854, sous Napoléon III, est promulguée la loi d’adjonction des sections de Campomomoro et Portigliolo à la commune de Belvédère, disposant que la nouvelle commune prendra le nom de Belvédère-Campomoro avec Campomoro comme chef-lieu.
L’école publique est ouverte à la rentrée de 1855. Le désenclavement de la commune débute en 1864 avec la section Campomoro-Belvédère, prolongée jusqu’à Grossa en 1872 puis à la route de Tizzano en 1879. Le chemin d’accès à Tavaria ne sera achevé qu’à la fin du siècle. En 1877, c’est la fin de la querelle de Tavaria, réglée par voie de justice en faveur de la commune qui devient propriétaire de cinquante hectares de la plaine, sur le territoire de Propriano, autre ancien hameau de Fozzano, érigée en commune en 1860. Dans ce dernier quart de siècle, des Napolitains fréquentent de mars à octobre la marine de Campomoro pour y pêcher la langouste. Auprès d’eux, de jeunes locaux, abandonnant les travaux agrestes, se forment au métier de marin-pêcheur. C’est ainsi qu’une dizaine d’embarcations seront armées et sillonneront la mer jusqu’à Capu di Muru et Tizzano. L’activité périclite à partir de 1950 ; au point de ne plus compter qu’une embarcation aujourd’hui.
Les révolutions dans l’industrie et le transport, l’ouverture des marchés, qu’a portées le Second Empire, initient à partir des années 1880 le déclin de l’économie et de la démographie insulaires. La commune est de celles qui résistent le plus longtemps. La Première Guerre mondiale accentue le processus de recul. Il se poursuit inexorablement jusqu’à la Seconde Guerre et plus encore après, jusqu’à la fin des années 1950, avec la disparition de l’agropastoralisme. Le coup d’arrêt est donné par l’avènement des activités de tourisme qui se traduiront par le développement continu de l’urbanisation et du secteur tertiaire.
Avec la réalisation de l’alimentation en eau potable des trois hameaux par pompage dans la nappe phréatique du Rizzanese en 1970, le rythme des constructions de résidences secondaires s’accélère. Une nouvelle flambée à partir de 2000 porte le nombre de constructions nouvelles à près de trois cents, à Campomoro et Portigliolo majoritairement. Ce qui ne manque pas de peser économiquement et socialement sur la destinée de la commune. Dès 1975, les élus s’en inquiètent : ils soutiennent les acquisitions du Conservatoire du Littoral : mille cinq cents hectares du côtier communal deviennent inaliénables et inconstructibles. La création du syndicat intercommunal ELISA avec Grossa et Sartène suivra, avec la double ambition de protection des paysages et des milieux naturels – une réussite – et la mise en valeur économique des terres mécanisables, publiques et privées, axée sur la diversification des cultures – encore à l’état de vœu pieux, plus de vingt après.
L’actualité réserve quelques autres défis : la maîtrise de l’urbanisation future et du mouillage dans la baie, le règlement des problèmes de circulation et de stationnement dans les trois hameaux, pour ne mentionner que les plus sensibles.
(*) Ce résumé est tiré du livre CAMPOMORO, LA ROCCA ET LE TARAVO (éditions Alain Piazzola) de notre concitoyen Antoine Sampieri.